Le concept “One Health”, une voie pour l’assurance santé régénérative ?

Il existe un lien évident entre l’économie régénérative et la santé. La première se définit en effet comme une économie qui vise à faire en sorte que l’activité humaine se déploie en créant les conditions propices au développement de la vie sur Terre (Cf. notre article du blog Acovia à ce sujet). Quant à la seconde, selon l’OMS, “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.” Toujours selon l’OMS, les déterminants sociaux de la santé sont « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie ».

L’économie régénérative a donc pour objectif de créer les conditions de la santé des individus et plus largement des écosystèmes. A ce titre, l’économie régénérative se positionne complètement dans l’approche One Health (en français : “santé unique” ou ”une seule santé”) telle que définie par l’OMS : « Une seule santé » est une approche visant à optimiser la santé des humains, des animaux et des écosystèmes en intégrant ces domaines, plutôt qu’en les séparant” (idem). Elle repose sur le fait que “la santé des humains, la santé des animaux et celle des écosystèmes sont étroitement liées. Tout changement intervenant dans ces liens peut augmenter le risque d’apparition et de propagation de nouvelles maladies humaines et animales.” (idem)

L’approche One Health s’inscrit donc dans une vision systémique qui reconnaît les interdépendances entre les différentes sphères, environnementales, animales et humaines, et qui veut soutenir les actions qui développent des “co-bénéfices” entre ces sphères.

Interrogé dans le rapport Assurance et post-croissance, publié par le cabinet Utopies et Seabird Impact, le biologiste Olivier Hamant met quant à lui en avant le concept de “santé commune”, qu’il définit comme “la conjonction de trois santés indivisibles et indépendantes, qui se façonnent les unes les autres : la santé des milieux naturels sur le temps long ; la santé sociale par la garantie d’un accès équitable aux ressources, socle des droits fondamentaux ; et la santé humaine comme état de complet bien-être physique, mental et social” (idem). Selon lui, il y a même une hiérarchie entre ces 3 sphères : “Cette approche rétablit l’ordre naturel : les fondations reposent sur la santé des milieux naturels et, en prenant soin de la santé des écosystèmes, nous prenons également soin de la santé sociale, ce qui contribue à promouvoir la santé humaine” (idem). Cette hiérarchie peut être décrite par le schéma ci-dessous :

Les 3 sphères de la santé selon Olivier Hamant (source : Assurance et post-croissance)

Olivier Hamant développe par ailleurs son propos dans l’ouvrage Manifeste pour une santé commune, publié récemment.

Que ce soit dans l’approche des Nations Unies ou dans celle d’Olivier Hamant, il apparaît clairement que les acteurs sociaux (entreprises, acteurs publics, associations…) ont tous un rôle à jouer dans la mise en œuvre de cette santé unique.

Et c’est encore plus le cas des acteurs de la santé humaine, qui sont doublement concernés par la santé unique et la transition régénérative. D’une part, ils sont eux-mêmes impactés positivement ou négativement dans leur activité et leur capacité d’action selon que la santé globale des humains, des animaux et des écosystèmes s’améliore ou se dégrade. D’autre part, ils peuvent impacter par leur action l’amélioration ou la dégradation de la santé globale. 

Sur ces deux plans, ils ne sont évidemment pas les seuls. Tous les acteurs de l’économie et de la société sont eux-mêmes impactés par l’état de la santé globale et impactent également cette dernière. Deux chiffres traduisent en partie cette interdépendance de l’économie et de la bonne santé des écosystèmes naturels : selon Swiss Re Institute, 55% du PIB mondial dépend de la biodiversité et des services écosystémiques, et un cinquième des pays dans le monde sont menacés en raison de la perte de biodiversité.

La responsabilité et l’intérêt particulier des acteurs de la santé humaine sur ce sujet est évidemment dû au fait que la santé humaine est justement leur domaine d’activité. Ce sont les acteurs qui possèdent les compétences clés dans le domaine de la préservation de la santé humaine.

Parmi les acteurs de la santé humaine, on compte les mutuelles santé et les assureurs santé. Dans une optique One Health, ces acteurs ont donc tout intérêt à opérer une transformation régénérative et à devenir des assureurs et des mutuelles à visée régénérative. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie transformer les conditions et les réalisations de leur activité dans le sens de la régénération, c’est-à-dire d’une part développer une offre à visée régénérative (les réalisations), et d’autre part travailler de manière régénérative (les conditions de réalisation). Dans les deux cas, promouvoir la régénération consiste à promouvoir les conditions d’une bonne “santé unique”.

Plusieurs publications récentes décrivent des pistes tout à fait intéressantes à ce sujet.

C’est le cas tout d’abord de l’étude Assurance et post-croissance, déjà citée au début de cet article. Publiée par les cabinets Utopies et Seabird Impact, elle consacre plusieurs pages (152 à 159) à la manière dont les assureurs peuvent s’engager dans l’approche One Health. Elle donne notamment la parole à Olivier Hamant, également cité plus haut dans cet article, ainsi qu’à Harmonie Mutuelle, dont nous allons parler ci-après.

On peut également citer les travaux de l’économiste Éloi Laurent, notamment ses livres Et si la santé guidait le monde ? publié en 2020, et Coopérer et se faire confiance, publié en 2024. Dans ces ouvrages, Éloi Laurent soutient l’approche One Health, appelle à une nouvelle “bio solidarité” et met en avant des initiatives qui développent les “co-bénéfices” de la santé unique. Il plaide notamment pour le développement d’une “santé coopérative”. Selon lui, la coopération entre les individus renforce les relations sociales et est un facteur clé de la santé des individus.

Pour illustrer cette approche, Éloi Laurent cite l’exemple de La case de santé, à Toulouse, ainsi que l’initiative “territoire de santé” de la communauté de communes du Pays d’Uzès, un projet soutenu par la MNT et Harmonie Mutuelle, sur lequel il a travaillé et qui est évoqué également dans l’étude Assurance et post-croissance citée plus haut.

Voici quelques liens qui décrivent ces deux projets : 

La case de santé : 

Pays d’Uzès “territoire de santé” : 

Sur la base de ces travaux et publications, comment pourrait-on résumer les axes de travail possibles pour les assureurs santé et les mutuelles afin qu’ils agissent dans le sens de la régénération par l’approche One Health ?

Nous vous proposons ci-dessous 7 axes de travail, qui peuvent être envisagés comme autant d’axes d’innovation, de transformation ou d’engagement vers la régénération et vers l’approche One Health.

  1. Devenir une entreprise à mission qui intègre l’approche One Health dans sa raison d’être

    • C’est ce qu’a fait Harmonie Mutuelle, devenue entreprise à mission en 2021, avec une raison d’être explicitement orientée vers l’approche One Health : “Agir sur les facteurs sociaux, environnementaux, et économiques qui améliorent la santé des personnes autant que celle de la société en mobilisant la force des collectifs.”

  2. S'engager publiquement dans l’approche One Health sans forcément devenir une société à mission, et soutenir des activités allant dans ce sens

    • En termes d’affirmation, cela peut passer par l’affirmation d’une raison d’être qui intègre l’approche One Health, par la rédaction d’un Manifeste allant en ce sens, par l’adhésion à un dispositif tiers d’engagement dans l’approche One Health, etc.

    • En termes d’action, on peut citer le soutien de la MNT et d’Harmonie Mutuelle à la communauté de commune du Pays d’Uzès dans sa démarche de “Parlement des liens” et de “Territoire de santé”, déjà citée plus haut dans cet article.

  3. Innover dans les caractéristiques de son offre d’assurance santé afin que celle-ci intègre et développe l’approche One Health

  4. Créer des liens avec des offres d’assurance non santé qui couvrent les risques environnementaux ou qui s’adressent à des activités qui visent à réduire les risques environnementaux

    • L’étude Assurance et post-croissance citée plus haut suggère de nombreux axes de travail pour faire évoluer le périmètre de l’offre d’assurance au service de la régénération et donc de la santé unique. Citons par exemple l’assurance des forêts, l’assurance des solutions fondées sur la nature, l’assurance de startups de protection de la nature, l’assurance du risque de transition vers l’agroécologie, etc.

    • Sur ce plan, les assureurs peuvent se doter d’une grille de lecture comparable à la Taxonomie verte européenne, qui leur permettrait d’identifier quelles activités vont dans le sens de l’approche One Health afin de favoriser directement ou indirectement (via des partenariats) l’assurance de ces activités.

  5. Développer des actions et des services de prévention qui vont dans le sens de l’approche One Health

    • C’est ce que fait Harmonie Mutuelle à travers plusieurs initiatives citées là aussi dans le rapport Assurance et post-croissance :

      • Publication avec l’Ademe un guide à destination du grand public intitulé Préserver sa santé et la planète. Ce guide a pour but de “valoriser les co-bénéfices entre des actions vertueuses pour l’environnement et pour la santé.”

      • Partenariat avec le festival « Agir pour le vivant »

      • Engagement dans le Mouvement Impact France.

  6. Mobiliser les acteurs de sa gouvernance

    • Les mutuelles peuvent par exemple engager leurs sociétaires et élus. C’est ce qu’a fait Harmonie Mutuelle en créant le collectif AGIR en 2023 afin de donner à ses élus “les moyens de développer des projets de prévention et impliquer les citoyens dans l’amélioration de leur santé et de leurs environnements. Chacune des actions menées fait l’objet d’un retour d’expérience, et les plus concluantes sont rassemblées dans un guide pour accélérer la diffusion des bonnes pratiques.”

  7. Contribuer au financement des activités qui soutiennent l’approche One Health

    • Par leur activité d’investissement, les assureurs peuvent financer la transition écologique des entreprises, le développement de solutions fondées sur la nature, les solutions et activités de restauration des écosystèmes, etc.

    • Il s’agit de mettre ici le potentiel d’investissement au service des activités qui vont dans le sens de l’approche One Health.

Pour résumer l’engagement d’Harmonie Mutuelle en ce sens, le rapport Assurance et post-croissance publie un schéma qui illustre bien la chaîne d’actions mise en œuvre par l’entreprise dans ce domaine :

Source : Assurance et post-croissance

On notera au passage que la société n’hésite pas à communiquer sur le concept d’émissions évitées. Nous reviendrons ultérieurement sur ce sujet.

Pour en savoir plus sur les engagements d’Harmonie Mutuelle, on peut se référer à son rapport annuel d’entreprise à mission.

Enfin, signalons qu’on trouve également des arguments en faveur de l’approche One Health, ainsi que des idées d’initiatives à promouvoir, dans une tribune récente de Gilles Boeuf et Marc-André Selosse parue dans le journal Le Monde. Selon eux, comme le résume le journal, “les coûts de santé publique engendrés par les pollutions agricoles et industrielles dépassent de beaucoup les gains de pouvoir d’achat par lesquels on les justifie”. À rebours d’une écologie considérée comme punitive, ils prônent une écologie préventive au service des déterminants environnementaux de la santé des écosystèmes, des animaux et des humains.

Au sein d’Akordia, nous accompagnons les assureurs et les mutuelles qui souhaitent s’engager sur cette voie de la santé unique, que ce soit dans une approche d’innovation ou de transformation. N’hésitez pas à nous contacter pour nous parler de vos projets en ce sens !

Précédent
Précédent

L’assurance peut-elle sauver le monde ?

Suivant
Suivant

L'actuariat à la croisée des chemins : Enjeux et perspectives d'un métier en pleine mutation